75e anniversaire !

Peu de personnes ayant vécu le débarquement de Normandie sont encore vivantes pour en témoigner. Maman et son amie, ma marraine « Vonnick », étaient infirmières et ont travaillé sans relâche sous les bombes pendant les quarante jours de la « bataille de Caen ». Maman a écrit un court témoignage, poignant dans sa sobriété…

 

6 Juin – mi-Juillet 1944

J’avais 21 ans, j’étais majeure, j’allais terminer en Octobre, mes études à l’École d’Infirmières de Caen .

La guerre n’en finissait pas !

Le « mur de l’ Atlantique » une chaîne de bunkers qui s’étendait du ‘Skagerak’ jusqu’à la frontière espagnole semblait infranchissable …

Mais … dans la nuit du 5 au 6 juin, les sirènes d’alerte se mirent lugubrement à sonner.

Bombes et obus commencèrent à pilonner la ville : c’était le prélude au débarquement des troupes alliées , attendu depuis si longtemps.

A l’École, tout était prévu pour les cas d’urgence.

Toutes les élèves ont donc rejoint les postes qui leur étaient assignés dans les divers hôpitaux et cliniques de la ville.

Je faisais partie d’une équipe chirurgicale : un chirurgien, un médecin, un anesthésiste et deux infirmières, dont moi .

Notre équipe était basée à l’hôpital du Bon Sauveur.

La traversée de Caen, à pied, a été un cauchemar.

A l’arrivée au Bon Sauveur, il n’était plus question d’avoir des états d’âme.

Les premiers blessés attendaient, allongés par terre ou assis sur des bancs pour les plus valides, gémissant, pleurant, hébétés, incrédules .

Pendant les 40 jours de la « bataille de Caen », nous avons opéré, opéré, opéré. Je ne sais pas comment nous tenions debout.

Les blessures étaient atroces et nous avions de moins en moins de moyens. La chirurgie de guerre connaît peu l’asepsie …

Nos réserves en compresses et médicaments s’épuisaient.

Un jour un obus traversa la salle d’opération, heureusement sans exploser. Au milieu des gravats, notre chirurgien nous a dit :

« Allons , allons, continuons, ce n’est qu’un petit trou !  »

Nous avons continué à opérer !

 

Quand, enfin, les vagues de bombardiers ne sillonnèrent plus le ciel, quand les allemands se replièrent et que l’on vit arriver des soldats canadiens, nous avons compris que le « débarquement allié » avait réussi.

Mais il y avait trop de morts, trop de blessés, trop de ruines , pour avoir le cœur léger.

Heureusement mes cousins Comby qui m’avaient si souvent reçus pendant mes études avaient été épargnés.

 

Fin Juillet, j’ai eu une permission de huit jours. Je découvrais l’énorme déploiement de matériel de l’armée américaine !

J’étais en uniforme et je n’eus aucun problème pour rejoindre Saint-Vaast-la-Hougue à bord d’un des GMC qui sillonnaient la côte.

J’ y retrouvais toute la famille Bordier… et comme toujours j’y fus accueillie à bras ouverts.

Quel bonheur de les revoir, en particulier mon amie Ginette .

Quel soulagement d’être enfin au calme, de pouvoir prendre une douche, de manger à ma faim et de pouvoir dormir.

A ce moment là … je ne savais pas encore qu’une frégate des Forces Navales Françaises Libres mouillerait au large et qu’en débarquerait Roger, l’homme de ma vie !

 

Colette Le Buf, 14 Octobre 2006